Alan Silva donnant un cours d'improvisation musicale en 1977 (caves de l'I.A.C.P., rue des Déchargeurs à Paris)


Historique

L'Institut (Institut Art Culture Perception) a été fondé sous forme de société anonyme en 1975 par James Wilkes, Alan Silva et Sandy Dominick.
Le choix d'une structure privée était cher à Alan, qui considérait que les biens culturels ne peuvent pas sainement se déployer sous la tutelle d'un état.
Convaincus par les arguments d'Alan Silva sur l'intérêt d'une telle société, les actionnaires ont participé au début à la formation du capital. Très rapidement, la société, non rentable, a été reprise par différents groupes de musiciens présents à l'origine du projet artistique. En 1977, comptaient parmi les nouveaux actionnaires : Monique Lecreux, Patrice Cramm, Jean-Paul Davois, Lucile Legendre, François Cotinaud, Odile Davois, Denis Colin, Bruno Girard, Michelle Cotinaud, rejoints plus tard en 1979 par Pierre Faure (qu'on peut voir sur la photo ci-dessus), Georges Gaumont, Rosine Feferman, Didier Petit, Itaru Oki, puis Pascal Brechet, Aldridge Hansberry, Bruno Delylle, Henri Grinberg, Michel Coffi, Pablo Nemirovsky, Jacques Marrug, Philippe Sellam, entre autres.
Les premiers cours de musique sont donnés en 1975 dans l'appartement d'Alan Silva, puis dans diverses caves de magasins autour des Halles, enfin rue des Déchargeurs, où sont loués des locaux relativement décents au deuxième étage et ... dans les caves.
Coupures d'électricité en 1979, expulsion des locaux en septembre 1980 donnent lieu à des moments épiques : on inscrivait les étudiants à la bougie, ou on les réunissait dans une brasserie (Le Dreher) pour les convaincre d'attendre une rentrée reportée en décembre dans de nouveaux locaux bien aménagés sur 3 niveaux, rue Oberkampf.
D'une vingtaine d'étudiants, l'I.A.C.P. comptera jusqu'à 320 élèves dans les années 1980-84, et une équipe pédagogique de 25 professeurs.
Michelle Cotinaud fut présidente et Denis Colin directeur administratif de 1979 à 1982. Puis Rosine Feferman et François Cotinaud leur succèderont de 1982 à 1985. C'est eux qui embaucheront l'actuelle responsable Christine Marienval, dans le souci de mieux gérer la partie administrative.
Avant 1980, en dehors du Commissaire aux comptes obligatoire, il n'y avait pas de responsable administratif compétent.

Durant toute cette période, Alan Silva sera le directeur artistique, et le responsable de la pédagogie dans cette école jusque vers 1987.

C'est ce qui en fit l'unité et la cohérence.


Pédagogie
Perception musicale
Le point de départ de cet institut fut la "perception musicale".
Alan Silva avait constitué un groupe de recherche avant même le dépôt des statuts de l'Institut, autour d'un travail sur l'écoute, la concentration, la visualisation de la musique, sur une différenciation claire entre une
écoute objective (amplitude, fréquences, rythme, timbre, masse sonore et structure) et une écoute subjective (émotions, jugements, sensations liés à notre propre histoire et à nos connaissances, présence du corps dans l'espace de travail). L'écoute avait lieu dans un espace totalement obscur (de manière obsessionnelle) autour, parfois, d'un centre à peine lumineux (moins de 5 W, ou ultraviolets). On travaillait parfois avec un générateur de fréquences de grande amplitude, mais le plus fréquemment à l'aide de programmes conçus pour servir une courbe de concentration idéale. Ces programmes contenaient des extraits musicaux d'une extrême diversité (musiques 'ethniques' de tous pays, musique contemporaine ou électro-acoustique, jazz, rock, musiques classiques, petits ou grands ensembles, musique écrite ou improvisée, variété) dans un ordre sans cesse renouvelé de manière à conserver une certaine fraîcheur dans l'écoute. La perception musicale intensive ouvrait les oreilles des auditeurs, musiciens ou non. Ce travail n'a pas d'équivalent dans le monde académique.
Les recherches autour de la perception musicale se poursuivent encore aujourd'hui, menées par : François Cotinaud, dans une application thérapeutique de l'association Puissance Dys, animée par Béatrice Sauvageot, orthophoniste de formation ; Sylvie Cohen, dans le cadre de la médiathèque de Corbeil-Essonnes.

Pédagogie instrumentale
L'autre versant de la pédagogie de l'I.A.C.P. est l'enseignement de l'improvisation instrumentale. Alan Silva s'est inspiré ici de ses propres références musicales (Cecil Taylor, Sun Ra, Bill Dixon) et de l'univers d'expression que ceux-ci génèrent, mais aussi de la philosophie de Joseph Schillinger (The Mathematical basis of the Arts, version anglophone seulement disponible) qui s'intéresse aux courbes de fréquences, à la propagation du son, aux permutations dans la musique, aux methodes de variation et de composition musicales. Confrontée au répertoire "standard" du jazz, cette vision des choses engendre une pédagogie qui se désolidarise des systèmes harmoniques classiques, et qui s'affranchit des contraintes stylistiques. L'accent est mis sur la mélodie et ses permutations horizontales, sur la construction d'une improvisation dans le temps, ainsi que sur l'expression. La technique instrumentale doit servir cette idée du développement musical.
L'étudiant ayant déjà une solide base instrumentale et harmonique y trouve son compte : une ouverture aux antipodes des schémas classiques de la pédagogie du jazz.
En revanche, le débutant bute sur des lacunes incomblées par cette pédagogie, et par surcroit commentées de manière négative.
On sait que l'expression et la créativité manquent beaucoup aux institutions académiques, et en un sens, l'I.A.C.P. comblait le vide. A l'inverse, l'I.A.C.P. dans une vision dogmatique, créait une autre lacune pédagogique.
Par ailleurs, le travail rythmique n'y était pas rigoureux, ou pas assez puissant.
Mais les élèves devaient se produire en fin d'année sur scène, et cet enjeu était motivant.

brochure IACP

Brochure de l'IACP à la rentrée 1984 : l'orchestre vu de dos est celui de Sun Ra (photographié par Leroy Bibbs). On aperçoit le montant du capital de la Société, ainsi que les organismes qui la soutiennent. Les graphitis font référence à la vision horizontale de la pédagogie.

l'I.A.C.P. et sa situation en France
De sa création jusqu'au départ de la plupart de l'équipe première, y compris le départ d'Alan Silva lui-même en 1987-88, l'I.A.C.P. a été à la fois le théâtre d'anticipations artistiques et pédagogiques, à la fois le vecteur de quelques malentendus.
Le fait d'enseigner la musique au sein d'un ensemble musical de 5 à 15 élèves, était une innovation jusqu'à ce que ce procédé soit généralisé dans plusieurs autres écoles en France (CIM, EDIM, puis classes de jazz dans les conservatoires), mais avec une pédagogie différente.
Le fait de placer une certaine esthétique de l'improvisation (free, mais pas seulement, car le souci de la structure était également très présent) au centre des débats était aussi une innovation, dans la mesure où, ailleurs, la tendance allait au respect d'une tradition, que l'on pouvait croire figée.
Du point de vue de l'I.A.C.P., la tradition se devait d'être une traditon d'innovation.


François Cotinaud animant l'un des ensembles pédagogiques en 1982 (Ph.DR).

Mais la mouvance I.A.C.P. s'est piégée elle-même, en prenant le risque de se couper unilatéralement de plusieurs autres nébuleuses musicales, sous prétexte d'être seul à mériter l'excellence.
A la même époque, fourmillaient les associations musicales dédiées à la pédagogie du jazz, ainsi que des groupes musicaux en recherche d'une expression nouvelle (ARFI, GRIM, par exemple). L'I.A.C.P. a bien tenté des collaborations avec l'IRCAM, a accueilli un grand nombre de personnalités importantes (Cecil Taylor, Alex Von Schlippenbach, Byron Pope, Bill Dixon, Steve Lacy) sans pour autant réussir à constituer des liens durables en France ou à l'étranger avec des associations ou des musiciens intéressés par la même démarche. La création d'un label discographique, d'un club (La Sphère) et les tentatives d'installation d'un réseau radiophonique n'y firent rien non plus.
Par conséquent, la perception renvoyée par le monde musical ou par la presse était de nature à isoler davantage le groupe des musiciens-enseignants qui supportaient les recherches d'Alan Silva.
En outre, le pari de demeurer une institution privée s'avérait illusoire et constituait une quête romantique : peu de subventions et peu de sponsors. Les salaires étaient par conséquent plafonnés, tandis que le prix des cours restait élevé. L'équilibre financier ne pouvait tenir longtemps.
L'éclatement du groupe pionnier était donc devenue nécessaire à la survie musicale et professionnelle de tous.


Une partie du Celestrial pendant l'enregistrement de "Desert Mirage" : U. Aldridge Hansberry, Carl Schlosser, Pierre Faure (flûtes), Bernard Vitet, Itaru Oki, Jeff Beer, Serge Adam (trompettes) en 1983.

Néanmoins, la genèse du
Celestrial Communication Orchestra constitue une expérience appréciable. En 1969, Alan Silva réunit sous cette banière tout ce que comptait de meilleur le jazz free : Anthony Braxton, l'Art Ensemble of Chicago, Michel Portal, Bobby Few, Dave Burrell, Mohammad Ali, Jean-Luc Ponty, Steve Lacy, etc. Il compose alors pour cette formation plusieurs suites, dont Seasons et Luna Surface, où chacun trouve sa place et son expression, libre. Puis de 1977 à 1987, il fera se rencontrer la plupart des musiciens-enseignants de l'I.A.C.P., fortifiant ainsi un certain esprit d'équipe, au sein d'un Celestrial qui accueille de temps à autre des solistes de passage à Paris. La musique naîtra d'un consensus entre les intentions d'Alan Silva et la mémoire des musiciens, notamment Denis Colin et F. Cotinaud.
L'orchestre, perçu comme amateur malgré les nombreuses personnalités qui le composent ou qui s'y engagent temporairement, aura peine à se diffuser.
La naissance de l'institution Orchestre National de Jazz, monopolisant de fait les subventions dédiées aux grands orchestres, donnera le coup de grâce à cette machine à improviser, difficile à produire dans le réseau culturel classique.

F. Cotinaud © copyright 2000 / jazzbank.com



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